L’apport des citations tirées du Corpus de littérature québécoise au dictionnaire Usito
12 décembre 2022
Puiser à même les multiples documents du Corpus de littérature québécoise (CLIQ) pour en tirer des citations qui seront ajoutées aux articles du dictionnaire Usito est l’une des façons les plus tangibles d’enrichir la description du français en usage au Québec. Car, même si à l’instar de tout ouvrage lexicographique, Usito accorde une place centrale à la définition, celle-ci ne peut, à elle seule, offrir toutes les informations pertinentes pour comprendre le sens et l’usage d’un emploi spécifique.
La définition au sein d’un dictionnaire de langue a pour mandat de caractériser explicitement la représentation mentale du mot ou du sens à traiter. Autrement dit, elle fournit une paraphrase explicative du mot ou sens à décrire, comme dans le cas de sapin (de Noël) : « sapin ou conifère similaire que l’on pare de décorations (boules de Noël, guirlandes, etc.) à l’occasion de Noël » (article sapin, Usito). Cela dit, même si l’usager ou l’usagère du dictionnaire parvient par le biais de la définition à mieux saisir le sens de cet usage, les manières de l’employer dans le discours peuvent demeurer quelque peu opaques.
C’est précisément afin de clarifier le mode d’emploi d’un mot ou d’un sens dans le discours qu’interviennent l’exemple construit et la citation. L’exemple construit est un exemple que le ou la lexicographe forge, généralement après avoir consulté un corpus de textes et en mettant son style personnel de côté. Cette création avisée peut rendre compte de constructions fréquemment observées dans les textes étudiés (par exemple sapin naturel, artificiel ou encore sapin de Noël illuminé). Elle peut également être le fruit d’une généralisation et d’une neutralisation d’une ou de plusieurs occurrences rencontrées dans les sources de manière à dégager un énoncé se prêtant au réemploi dans une diversité de contextes. L’exemple construit mettre les cadeaux sous le sapin constitue donc, d’une certaine manière, un « prêt-à-parler » ou un « prêt-à-écrire » en lien avec sapin (de Noël) ne requérant qu’un minimum de modifications pour être réutilisé (par exemple, elle met les cadeaux sous le sapin, ils ont mis les cadeaux sous le sapin, etc.).
À la différence de l’exemple construit, la citation est plus singulière : elle est tirée d’une source spécifique, pour laquelle la date et l’auteur ou l’auteure sont connus. Cette spécificité, conjuguée à la réputation et au style de celui ou celle qui a signé l’extrait retenu, lui confère autorité et esthétisme. Au sein du corpus CLIQ, par exemple, on retrouve en Frère Marie-Victorin, Michel Tremblay, Marie-Claire Blais, Nicole Brossard, Dany Laferrière et plusieurs autres autant de figures marquantes de la littérature québécoise qui, par leurs écrits, peuvent attester avec l’éloquence qui leur est propre de l’existence, actuelle ou passée, d’un usage en français québécois.
Mais l’attrait de l’ajout de citations à des articles de dictionnaire ne se cantonne pas au bénéfice d’une association à une plume renommée. Une citation, par le fait qu’elle est souvent plus longue qu’un exemple construit, a le potentiel de mettre en valeur une partie du champ lexical qui s’articule autour d’un emploi particulier. Ainsi, en plus d’être rédigée dans un style plus littéraire que celui caractérisant tout exemple construit, la citation à achigan à grande bouche permet au lecteur de cibler d’autres mots qui gravitent autour de cet emploi tels que canne (à pêche), ligne, ferrer, eau :
Une brusque résistance, la canne pliée, la sensation de poids en mouvement au bout, la ligne emperlée et tendue, vibrante… l’achigan à grande bouche d’un kilo qui, aussitôt ferré, se cabre et bondit hors de l’eau
Source de la citation :
Louis Hamelin, La constellation du Lynx, 2012 [2010]
À ces fonctions de nature linguistique et esthétique s’ajoute également la possibilité de véhiculer des informations encyclopédiques et culturelles au sujet d’un mot ou sens traité. En effet, la citation à portager met en lumière les effets du transport répété d’une embarcation à même le dos d’un individu ainsi qu’une des manières de fixer à lui l’embarcation :
Ces gens-là dont je parle et que plus personne ne raconte ont portagé jusqu’à s’arquer les jambes, ils ont marché sur les rochers, les canots sur le dos, les ballots en sus, certains sanglés et tenus par la tête et le front, ils se sont épuisés dans les montées, ils ont crié et sifflé dans les eaux blanches en descendant les rapides
Source de la citation :
Serge Bouchard, Les yeux tristes de mon camion, 2016
Cette citation évoque aussi l’imaginaire collectif québécois qui s’est construit autour de cette façon de parcourir un territoire traversé par de nombreux cours d’eau.
En somme, par leur capacité à faire une place à l’autorité et aux styles d’auteurs québécois reconnus, à dégager des champs lexicaux et à transmettre des informations culturelles et encyclopédiques, les citations puisées à partir du corpus CLIQ constituent un ajout nécessaire et enrichissant pour un dictionnaire comme Usito.
Daniella Coderre Porras